Jean Dif
Nationality: Francia
Email: dif.jean@free.fr
Nationality: Francia
Email: dif.jean@free.fr
Jean Dif
Venu à la poésie sous le double patronage du surréalisme et de l’Ecole de Rochefort, Jean Dif a publié une dizaine de recueils, dont La Voix Publique, Netchaïev dit, L’aile de la cendre… Il a traduit en français de nombreux poètes étrangers, notamment un recueil du poète espagnol Santiago Montobbio, la poésie est un fond d’eau marine(2011), et deux recueils du poète argentin Luis Benítez : Les Imaginations (2013) et Brève anthologie poétique (2014).
Correspondances
Dans l’univers des formes il n’y a pas de genres
La pierre l’arbre et la bête ont les mêmes desseins
Dans la chair comme au bout des branches
la jeunesse toujours bourgeonne
Fruits graines plantes fleurs et hommes
bosquets d’ombres et de frissons
Mains et feuilles ont vocation d'ailes
La fleur est d'abord glaive avant d'être ecchymose
L'animal par le phasme mime le végétal
Le tilleul diabétique pleure des larmes de miel
L’arbre change de feuilles comme le serpent mue
Le vent dans leurs berceaux endort les oiseaux
comme la lune berce les poissons dans les eaux
Le grain dans la grappe obéit
au même instinct que les brebis
Le ruisseau dit son chapelet
en éparpillant les galets
L’huître et le gui sont sœur et frère
ne serait-ce que par leurs perles
Sous l’écorce du dragonnier
coule un sang au notre pareil
comme dans la chair de l’argile
et le corail rocaille en branches
ou bien dans les veines du marbre
L’ardoise fait du roc un arbre
Posé ainsi qu’un bracelet
sur un poignet cherchant ses doigts
le harnais épingle à chevaux
du pont jeté sur la rivière
est l’image d’un cavalier
qui laisse filer son coursier
Le parfum de la fleur trahit
la charité de la corolle
qui porte son cœur sur ses lèvres
et le sexe d'un mâle en bouche
l'abeille sert d'entremetteuse
Avec ses griffes et ses langues
Cette caresse qui se dérobe
le rosier est voisin du chat
qui tient ses griffes d’une ronce
dont le sourcil toujours se fronce
La graine perce comme une dent
Le bourgeon s'ouvre comme on s'étonne
La terre voit le ciel par ses lacs
La gemme est une pierre qui songe
Derrière la vibrante harmonie
de toutes ces bouches sans voix
on perçoit comme une pensée
Dans les jardins de Cupidon
la vierge émue est un verger
dont les fruits se mangent sur l’arbre.
Dans les petites gares de campagne
Dans les petites gares de campagne à l'abandon
des voyageurs sans âge sont assis sur des bancs vides
Ils lisent immobiles des journaux sans date
qui racontent des histoires qui n'ont pas encore eu lieu
L'horloge est arrêtée à l'heure où les aiguilles se croisent
sans que l'on sache s'il est éternellement midi ou minuit
Et les voyageurs en partance vers une terre d'exil
qui n'existe nulle part sinon dans l'ailleurs
et même dans l'ailleurs de l’ailleurs
attendent sans hâte le train qui ne s'arrête pas
car on n'entend plus jamais haleter les locomotives
dans les petites gares de campagne qui retiennent leur souffle
Et dans les salles où les pas se perdent
les chaises vides conversent avec leur ombre
Mais nul ne les entend car il n'y a personne
et que depuis longtemps les pas sont effacés
dans les salles où ils se perdirent
Et les travées sont vides
comme le dernier jour qui n'en était pas un
d'avant l'explosion du monde.
L’immuable
Hors du temps de l'espace l'immuable se tient
sans commencement sans lendemain sans fin
sans destin et clandestin
Dans le concret le sol brûle
sans se consumer
du feu d'enfer de l'éphémère
en écorchures incandescentes
Du fond d'un temps sans âge
une lueur vient jusqu'à nous
trouant l'espace en gerbes d'étincelles
Dans les ténèbres lumineuses de l'esprit
pétillent en bulles de champagne
des étoiles qui sont la mousse du vide
La graine de la vie est arrivée d'en haut
poussée par on ne sait quel souffle du désir
et l'univers entier y a pris son plaisir
en un gigantesque éclaboussement
dans l'or sucré des ruches abstraites
Tournez planètes virez galaxies
Attirez-vous Repoussez-vous
dans la ronde des amants
au-delà de l'épuisement
roue de la fortune des astres
Nous ne sommes que des vétilles
dans cette éclaboussure du vide
que l’on nomme la création
mais des vétilles qui rendent grâce
à cet amour universel
sans qui s'effondrerait le monde.
Le temps immobile et l’espace ne font qu’un
Le temps immobile et l'espace ne font qu'un. D'un point de vue élevé, il n'est ni futur ni passé. Tous les événements sont contemporains. L'infiniment petit voisine avec l'infiniment grand : Galaxie, planète, électron, voie lactée ou vers luisant.
La flot va et vient sur la grève. La marée monte et se retire. Le cœur se soulève et s'affaisse. L'univers se rétracte et s'épand. Mais il reste toujours le même, bien que sans cesse en mouvement.
Comprenne qui pourra
métamorphose ébullition
la reptation de la chenille
et le sommeil du cocon
génèrent le vol du papillon.
La vie et la mort inventèrent la durée. Chaque chose mortelle est dotée d'un temps fictif, celui de l'éphémère celui de l'immortelle, celui de l'homme et celui de la plante. L'horloge de l'éphémère n'est pas celle de l'homme qui n'est pas celle de la plante. Le temps de l'homme n'est pas plus objectif que celui de la chenille ou celui du papillon. Les agités regardent la trotteuse, les sages la
grande aiguille, et les indolents la petite.
Ils ne se réconcilient que dans l'attente… de la chute sans fin de l'esprit dans le vide.
Chronos
J'eus pour enfants douze fils. Je leur donnai pour prénoms, les noms des mois de l'année.
Poursuivis par l'inconcevable, mais fatale malédiction, frappant chaque être vivant, qui est celle d'être né, nous marchions droit devant nous, sur la terre couleur de cendres, en file indienne à travers, une contrée désolée, aux arbres carbonisés, comme Caïn et ses fils, tenaillés par le remords.
Droit devant nous nous fuyions, avec dans le dos le mufle, d’un félin à dents de sabre, dont le souffle ardent brûlait, l'herbe sèche sur nos talons.
Afin de freiner sa marche, je lui jetai mes enfants, un à un toujours dans l'ordre, commençant par le premier, qui bien sûr fut janvier.
Quand décembre fut passé, j'arrivai sur le sommet, d’une très haute falaise, au bord d’un gouffre sans fond.
C'est alors que j’ai compris, que la bête aux dents de sabre, à qui j’avais sacrifié, un à un tous mes enfants, ne courait pas derrière moi, mais m’attendait en avant.